Histoire de la colonisation Belge
Travail forcé pour le cuivre du Katanga
Larticle 3 de la Charte Coloniale du 18 octobre 1908 prescrivait que:"Nul ne peut être contraint de travailler pour le compte et au profit de sociétés ou de particuliers".
La Compagnie du Chemin de Fer du Katanga (CFK) fut créée en 1902 par Robert Williams en partenariat avec lEtat Indépendant du Congo. Cet homme daffaires écossais était également le fondateur de lUnion Minière (UM) qui entama lexploitation de la province par la création de lÉtoile du Congo, première mine du Cuivre au Katanga, la mine de Kambove et la fonderie dElisabethville. En 1909, la Colonie du Congo Belge (CCB) devenait le principal actionnaire de la CFK par lintermédiaire de la Compagnie du Chemin de Fer du Bas-Congo au Katanga (BCK) qui avait été constituée en partie par la Société Générale de Belgique (SG) en 1906; SG qui était également co-propriétaire de lUM, pour complètement la contrôler en 1921.
Pour faire face aux besoins pressants de main doeuvre, le ministre de la colonie Jules Renkin, en collaboration avec les dirigeants de lUM, créa la Bourse du Travail du Katanga (BTK) en 1910, qui était en fait un bureau de recrutement dont les actionnaires initiaux étaient la CFK et lUM. Dautres entreprises et colons pouvaient également saffilier à cette société.
Société voulue privée, la BTK nen était pas tout à fait une, vu la participation financière de la CCB au capital de la BCK et donc de la CFK. De fait, cet organisme allait se révéler être le principal pourvoyeur en main-doeuvre de ladministration et de toutes les entreprises de la province. La bourse assurait, par lintermédiaire dagents, le recrutement de travailleurs et les sociétés affiliées devaient lui verser des taxes par homme fourni.
Au début de la création de la bourse, les résultats étaient peu encourageants. Cela ne manqua pas dalarmer les dirigeants de lUM dont son directeur général, Eugène Halewyck se demandait en 1910 : "comment pourrions-nous réussir dans nos recrutements sans laide des gouvernants dans un pays où les effets dune concurrence déloyale [entendez par là des salaires plus élevés] entre petits employeurs de main doeuvre noire se sont déjà malheureusement trop fait sentir et ont déjà trop influencé et flatté le caractère paresseux du nègre ?"
De la sorte, le ministre Renkin allait faire savoir à Wangermée, gouverneur du Katanga, en février 1911 que "le gouvernement doit prêter assistance à linstitution [la bourse] sans intervenir dans son fonctionnement intérieur". Renkin poursuivit en faisant valoir que toutefois la colonie avait le pouvoir de contrôler son action. Le terme de société privée était donc largement biaisé puisquen juin 1914, Emile Francqui [dont les "exploits" du temps de létat indépendant du Congo (EIC) furent soulignés dans la première partie], président du conseil dadministration de la BTK à Bruxelles, écrivit à Debauw, alors directeur de la BTK au Congo, que "la direction de la bourse est aujourdhui entièrement entre les mains du gouvernement local dElisabethville".
Dans un premier temps, 5 zones de recrutement furent prévues : Kavalo, lac Moero, Lulua, Bunkeya ainsi que Bukama-Mutombo-Mukulu. Chacune de ces zones avait un chef-recruteur de la bourse à sa tête qui travaillait en collaboration avec les autorités territoriales. Dès la fin de 1913, cette collaboration prenait la forme de comités. A partir de 1918, ladministration intervenait directement dans le recrutement de la main-doeuvre par la création de commissions et de sous-commissions.
Voici un extrait dune réunion dun des comités de recrutement à Kiambi (district Tanganyika-Moero) en 1914: "Les indigènes de ce territoire, comme partout étant rétifs à tout travail et nengageant que très rarement leurs services de par leur propre volonté, il savère quils ne sy résignent que traqués par lobligation de payer limpôt.[ En 1911, Emile Wangermée fixait les taux du premier impôt en argent à verser par tout Africain, mâle, adulte et valide. Celui-ci sélevait en moyenne pour cette année-là à 10 F. Le non-payement de cet impôt entraînait soit lemprisonnement et la peine de la chicotte soit le travail dans les mines] Cette situation a été apparente dans la région dAnkoro, où en ces derniers temps le recrutement fut assez important. Il est donc préférable que lagent de la bourse opère là où le collecteur [lagent territorial] perçoit limpôt" .
Voici les réflexions en avril 1914 de Jean Savatte, un recruteur : "Jai pu trouver les porteurs quil fallait Quant aux travailleurs le résultat est toujours nul. Ce nest pas une perception dimpôts, sans moyen pratique den exiger le paiement, qui fera changer quoi que ce soit Les chefs nont aucune autorité jai trouvé tous les hommes valides partis Si lon veut obtenir un résultat, des mesures radicales simposent pour soumettre la région".
Cest ainsi que pour aider les recruteurs dans leurs tâches, la force publique pouvait, dixit Léon Moser, agent de la bourse, épouvanter lindigène. Le moyen courant de recrutement était, comme cétait déjà le cas pour la récolte du caoutchouc, de passer par des auxiliaires congolais qui percevaient des primes tout comme de leur côté les agents territoriaux recevaient des allocations de la bourse. Les contrats des recrutés étaient "visés" par les territoriaux, ceux-la même qui percevaient des allocations pour le recrutement. Ce visa prétendait que le recruté avait souscrit volontairement au contrat.
Pour les raisons évoquées ci-dessus, nous pouvons sans aucun doute considérer que ces recrutés étaient de véritables forçats, même sils percevaient un petit salaire (10 à 15 F/mois en 1913), dont la moitié du versement, selon une clause de 1912, était différée à la fin du terme qui était de 3 ans à cette époque.
Voici quelques extraits dune lettre de Wangermée au ministre Renkin : " Si les engagements à longue durée procurent à laffilié certains avantages pécuniaires, ceux-ci ne constituent quune faible compensation des pertes occasionnées par les désertions ou le décès des engagés [la bourse refusant de rembourser quoi que ce soit des taxes perçues aux compagnies affiliées]. Le taux élevé de la mortalité parmi les engagés de 3 ans [ces derniers temps est] dû autant aux privations subies au cours dun long voyage effectué [parfois 800 km] pendant la mauvaise saison, quau changement de climat [la température pouvant descendre dans le Haut-Katanga jusquà zéro degré en juin-juillet] et de nourriture". Ces forçats étaient donc littéralement déportés sur de longues distances.
Parallèlement à ces déportations "internes", de 1911 à 1921, la Compagnie R.Williams&Co importait au Katanga de 44 000 hommes originaires de Rhodésie, mais aussi dAngola, et ce principalement pour lUM.
Quelques passages du rapport dAntoine Sohier, procureur du roi f.f, rédigé en décembre 1916, à la demande de Rutten, sur la situation à Kambove[une des mines de lUM] : " Les travailleurs appartiennent à 3 classes principales : les Rhodésiens enregistrés, les recrutés de la bourse, les volontaires. On appelle volontaires (350 actuellement à Kambove [sur 1560]) ceux qui viennent sengager directement à la mine, sans passer par un organisme de recrutement. Chaque classe a ses déserteurs Au camp une véritable police est organisée et les infractions sont punies de chicotte Selon lhabitude cest par lintermédiaire du chef que le recruteur opère généralement. Tous sont daccords pour dire quavant leur arrivée à Elisabethville, ils ignoraient totalement à quoi ils sengageaient. Le visa de contrat serait un simple appel de nom Les volontaires sont de loin les meilleurs ils coûtent moins [pas de taxe à verser à la bourse] et rendent plus."
En 1916, Polidori, chef du service médical du Katanga, visitait la mine de lUM, " lÉtoile du Congo", regroupant environ 1 500 travailleurs africains à cette époque : "Dans le soi-disant hôpital des noirs, jai trouvé environ 250 malades dont 50% au moins étaient gravement atteints avec une moyenne de 2 décès par jour...appelé hôpital mais qui na dhôpital que le nom.
On a de suite limpression que ladministration nattache pas beaucoup dintérêt à la santé à lexception des lits en bois et toile on ne voit pas le moindre meuble ou ustensile. Le tout est extrêmement primitif et misérable pas le moindre aménagement qui permette de soigner...les nombreux malades...ces malades ne sont pas dans un hôpital mais dans un abri quelconque Il existe en tout 28 lits et les malades sont 250 ceux dentre eux qui peuvent marcher préfèrent rester à lextérieur à la belle étoile Ainsi ceux qui sont atteints uniquement de la tick-fever risquent de contracter linfluenza ou la pneumonie, leur organisme affaibli se trouvant dans un état de grande réceptivité. Cela explique, en grande partie, à mon avis, le pourcentage élevé des décès. Les décès parmi les travailleurs indigènes employés à létoile en octobre ont été de 52 sur 1501 travailleurs Dans lintérêt même de lUM, il sagirait denvisager à améliorer la situation "
En 1917, le ministre Renkin chargea Martin Rutten, futur gouverneur du Katanga et futur gouverneur général du Congo, dune mission dinspection des populations du Katanga. Voici des extraits de son rapport. Au sujet des travailleurs de lUM : " il est impossible de ne pas être frappé par lénorme consommation de vies humaines faite dans la région industrielle du Katanga, et surtout par le plus grand employeur de main doeuvre indigène, cest à dire lUnion Minière Pour bien se rendre compte du caractère excessif du taux de mortalité il faut considérer quil sagit dhommes adultes sans infirmités apparentes. Avant darriver sur les chantiers, les hommes de la bourse ont été soumis au moins à un examen médical et les insuffisants ont été éliminés
[il cite ensuite des chiffres comparant les taux de mortalité, les désertions et les réformés qui sont plus élevés à lUM par rapport à la CFK] Les réformés sont le plus souvent des malades convalescents mais très affaiblis On a vu des gens déserter parce quils étaient malades Le taux de mortalité des statistiques est un minimum [ne tenant pas compte des décès parmi les déserteurs]
Le devoir du gouvernement dintervenir au besoin par les moyens les plus énergiques est dautant plus impérieux, que directement ou indirectement, il contribue à amener à lUM la main doeuvre quelle utilise de cette manière. Il y contribue directement quand il donne lordre aux fonctionnaires territoriaux, aux chefs indigènes de favoriser le recrutement de la bourse. Il y contribue indirectement, quand il fait percevoir un impôt élevé dans un territoire, où il est impossible aux indigènes de le payer sans aller chercher du travail aux mines
Faut-il sétonner si les chefs indigènes au lieu de livrer les déserteurs à lautorité, mettent tous leurs soins à bien les cacher. Quel est le chef qui oserait renvoyer X à la Lubumbashi où plusieurs de ses compagnons sont enterrés ? Lautorité des chefs est surtout basée sur le consentement unanime de leurs sujets : ils doivent vivre avec eux et leur vie deviendrait impossible si dans des cas semblables ils prenaient partie pour lautorité européenne. Tous ces indigènes qui meurent, désertent, ou reviennent chez eux réformés ou abîmés, ont des parents, des femmes, des amis ; ils font partie dun groupe social étroitement unis
La présence dans le pays de nombreux déserteurs, soucieux avant tout déviter tout contact avec le blanc, contribue à la désagrégation des chefferies. Ces gens forment à lécart de petits villages et pour les raisons que jai indiquées, le chef ne peut ou ne veut rien faire contre eux
[il écrit ensuite, quil a reçu étonnamment très peu de doléances de la part des Congolais durant cette visite dinspection. Mais, se dit-il, pourquoi se plaindraient-ils à un fonctionnaire du gouvernement alors que] le gouvernement vient lui-même de faire lever de force de nombreux porteurs pour le Banganka [la campagne belge en Afrique Orientale allemande] doù des centaines des nôtres partis depuis 3 ans ne sont pas revenus "
[Durant les 3 premiers mois de 1917, 10 000 porteurs furent réquisitionnés au district Tanganyika-Moero, principalement pour les besoins du portage militaire, qui fut particulièrement meurtrier, dans le cadre de la campagne militaire de la force publique au Rwanda et au Burundi, alors colonies allemandes] .
Jusquen 1920, environ 6 000 hommes trouvèrent la mort, dans les seuls camps de lUnion Minière. Sans oublier ceux qui mouraient durant leurs déportations, parmi les milliers de déserteurs, voire parmi les réformés. La colonie nommait les réformés, les déserteurs et les morts des déchets. Les causes de ces taux de mortalité et de morbidité élevés étaient dues aux conditions de travail particulièrement éprouvantes, à lenvironnement sanitaire déplorable entraînant des épidémies ainsi quaux accidents de travail. Un taux élevé de désertions sexpliquait également, en plus des raisons citées plus haut, par des rations alimentaires insuffisantes, la brutalité, les injures et la peine de la chicotte, la promiscuité et des salaires de misère, qui de plus, pouvaient ne pas être versés.
En 1916,Trudon Straven, administrateur territorial de Sampwe, accusé de négligence, quant à sa mission de ramener des déserteurs, retorquait que son territoire [malgré ses demandes réitérées et celles de ses prédécesseurs] "ne possède aucun instrument pour enchaîner les noirs prisonniers, ni chaînes, ni carcans, ni serrures de sûreté et que chaque fois quil faut les transférer, je suis forcé de les amarrer avec de la corde indigène facile à couper aux dents ou au couteau"
En 1920, le Ministère des Colonies publiait le Rapport sur lHygiène des travailleurs noirs rédigé par le Dr Boigelot alors responsable du service dhygiène industrielle. Ce rapport avait été à la base dune ordonnance portant sur la protection des travailleurs africains. Cet acte législatif fut combattu par les industriels qui eurent gain de cause auprès du ministre. Les obligations des employeurs se révélaient être nettement moindres dans lordonnance promulguée en février 1922 par rapport à celle inspirée par Boigelot, qui abandonnait sa carrière congolaise sans que le vice-gouverneur général Rutten, pourtant sensibilisé à la condition des Congolais [cf son rapport de 1917], ne fisse rien pour quil conserve son poste.
Pendant ce temps-là, en juillet 1919, Jean Jadot annonça que lUnion Minière avait produit pendant toute la période de la première guerre mondiale 85 000 tonnes de cuivre et réalisait un bénéfice de 37,5 millions de francs dont 7,5 millions revenaient à la colonie.
Durant ces dix premières années dexistence, la BTK allait rassembler 50 000 travailleurs principalement pour lUM, la CFK et la Colonie. Le 2 juin 1920 la question des recrutements par la BTK fut évoquée à la Chambre à Bruxelles par Paul Tschoffen : "Nous voulons attirer lattention sur le danger dont sont menacés les indigènes par les façons de faire de certains recruteurs pour les industries du Katanga Il sexerce actuellement une contrainte occulte mais intense dans lembauchage des indigènes par contrats à long terme Les mines vont demander des travailleurs jusque dans le Kasai Ce serait une faute grave de fixer le taux de limpôt et de le percevoir de telle manière quil constitue une contrainte indirecte au travail La population noire du Congo ne cesse de décroître avec rapidité "
En 1921, le monopole du recrutement au Katanga nappartenait toujours pas à la bourse, malgré les efforts en ce sens du ministre Renkin et de son successeur Louis Franck qui était un grand défenseur des gratifications allouées aux fonctionnaires et, tout comme Félicien Cattier 10 ans auparavant, partisan de limportation de coolies chinois. De concert avec Maurice Lippens, gouverneur général de la Colonie du Congo Belge, le ministre Franck favorisait et soutenait les petites et les grandes entreprises pour favoriser et développer loccupation du Congo.
En juin 1922, L.Franck rédigeait une circulaire qui allait dans ce sens: "Ce serait une erreur de penser à plus forte raison de dire aux indigènes- quune fois limpôt payé et leurs autres prestations légales effectuées, ils peuvent rester dans linaction. Dans aucun cas, et sous aucune forme, ce genre dopinion ne peut être exprimé par nos magistrats ou fonctionnaires Lautorité morale du magistrat ou de ladministrateur, la persuasion persévérante, les encouragements, les faveurs et, sils naboutissent pas, les marques de déplaisir, laction des chefs, sont, aux mains dagents expérimentés et respectés, des moyens puissants".
Les recruteurs des protagonistes de "loeuvre coloniale" sarrachaient la force de travail congolaise. Le préfet apostolique du Haut-Katanga, Mgr J.de Hemptinne, se plaignait en 1922 de ce que sa mission de Kapolowe ne trouvait pas de la main doeuvre parce que le recruteur de la bourse, Delforge, avait réussi à capturer tous les mâles adultes de la région et que la mission navait pas les moyens de racheter à celle-ci le produit de ses chasses.
En 1923, Vandenboogaerde, commissaire de district du Tanganyika-Moero, demandait aux administrateurs territoriaux plus dintransigeance dans les méthodes de recrutement. Il leur fit savoir que : "Votre intervention auprès des chefs ne peut se borner à de platoniques conseils ou même à des ordres formels non suivis de sanction en cas dinexécution. Une fois le quota à recruter fixé daccord avec le chef, il est nécessaire de tenir énergiquement la main à ce que ce nombre soit effectivement recruté. En cas de mauvais vouloir de la part du chef ou des indigènes, une grande rigueur dans lapplication des lois et règlements [il cite articles et décrets] vous permettra de leur faire sentir que vous exigez absolument que chaque chefferie, dans la mesure de ses moyens, intervienne dans les recrutements de la main doeuvre. Le résultat de pareille politique qui est parfaitement légale nest pas douteux
..Je demande de faire parvenir régulièrement une liste nominative, par chefferie, des déserteurs. Ceux-ci doivent être recherchés Un administrateur territorial qui a de lautorité sur les chefs doit réussir à faire arrêter les déserteurs [il demande ensuite aux administrateurs territoriaux de sentraider] pour décourager les désertions et les émigrations si nombreuses dun territoire dans un autre " [qui comme le signalait M.Rutten dans son rapport en 1917, concourent à la désagrégation des chefferies]
En 1922, et suite à une enquête judiciaire, Sohier décrivait le système du recrutement en vigueur dans la colonie belge : " le recrutement à lheure actuelle nest pas libre. A mi-chemin entre le système de la liberté des engagements et celui de la contrainte légale, sest établi un système intermédiaire: le recrutement doffice par voie dautorité. Le contingent fixé par les commissions de la main doeuvre, comme étant celui que peut fournir un territoire, est considéré par les administrateurs comme un contingent obligatoire, et cest littéralement par voie de réquisition quil est obtenu..."
Nous étions donc en présence de 2 antagonismes : dune part la colonie qui prétendait assurer aux Congolais, via une charte, la liberté dengagement. Dautre part la prospérité de cette même colonie impliquait lutilisation dune main doeuvre bon marché pour ne pas dire gratuite. Mais une troisième composante se faisait de plus en plus pressante : la dépopulation du Congo. Quelques exemples pour illustrer cette réalité : en 1919, le vice-gouverneur de la Province Orientale, A.Demeulemeester, fermait le district du Maniema au recrutement de la BTK. Début 1923, il demandait au gouverneur général que linterdiction soit maintenue parce que cétait "delle que nous pouvons espérer que ce beau pays, qui a tant souffert, voie renaître sa population" ou Théodore Nève, abbé, qui en 1923, confiait à Vanleeuw, directeur de lindustrie, qu "il était triste dy voir tous les villages [au Katanga] absolument vides au point de vue hommes adultes et valides, ne comptant plus que des femmes, des enfants et des vieillards" ou encore C. Kuck, sous-directeur de l Intérieur qui estimait en 1924 que "les recrutements ont amené la dépopulation et la dislocation de certains groupements" .
Cet état de fait amenait Albrecht Gohr, directeur général de lIntérieur et ex-directeur de la justice de lEIC, à déclarer en 1923 que : " la seule question qui se pose est de savoir si on doit préférer satisfaire les intérêts immédiats des entreprises privées, au risque de sacrifier lavenir de la race indigène du Congo et les intérêts futurs des entreprises européennes Nous ne devons pas travailler uniquement pour le présent, sinon lavenir placera les entreprises au Congo dans une situation beaucoup plus difficile quactuellement "
Vanleeuw écrivait la même année que : "les recrutements ne doivent pas être poussés à lextrême dans les villages, de façon à ne plus y laisser un homme valide, quen tout cas les hommes mariés ne devront être engagés, que pour du travail sur un chantier, assez près de leur village, pour leur permettre de retourner dans leur famille au moins tous les 15 jours je proposerai une lettre collective à lUM, au CFK et au CFL [la compagnie de chemin de fer des grands lacs], etc..., insistant sur la question du défaut des naissances dans les camps, en proposant de relever le pourcentage des femmes quon autorise les recruteurs à amener avec les hommes, de porter par exemple ce pourcentage de 15% à 20 ou 25% "
Le ministre des colonies L.Franck, par une lettre datée de décembre 1923, allait sen tenir aux intérêts des entreprises pour négliger complètement la population congolaise, tout comme le gouverneur général Heenen qui préconisait des mesures spéciales à appliquer aux chefferies qui ne fournissait pas à la BTK "le contingent requis".
Alors que Carton de Tournay devint le nouveau ministre des colonies, en novembre 1924 une commission se réunissait pour étudier les problèmes de la main doeuvre et de la dépopulation causée par les recrutements intensifs. La commission rassemblait des directeurs dentreprises, les gouverneurs des provinces, les hauts fonctionnaires du Ministère des Colonies, et bien dautres personnalités. Elle fixa le pourcentage de la population pouvant être recruté pour le travail dans les entreprises à 10 % et pour le travail au village au profit des européens à 15 %, tout en sachant très bien que dans certaines zones, tous les HAV (hommes adultes valides) étaient soumis aux cultures obligatoires. Cette limite de 10% ne sera pas respectée, dautant plus que cette même commission recommandait la propagande active de la part des administrateurs coloniaux auprès des populations pour travailler dans les entreprises européennes ainsi que la pratique interventionniste de létat dans le recrutement pour les privés.
Le rapport de cette commission soulignait également que le devoir du colonisateur était de faire comprendre à lAfricain la notion de travail, essentiel à son épanouissement moral et matériel. Pas un mot par contre quant au système de contrainte et des moyens mis en oeuvre pour le recrutement. En 1924, la Commission de lEsclavage de la Société des Nations à Genève qualifiait de travail forcé tout travail dans les entreprises privées, obtenu par pression indirecte ou morale exercée par les fonctionnaires coloniaux. La même année, la bourse rassemblait 8 368 réquisitionnaires au Katanga dont un gros pourcentage était toujours destiné à lUnion Minière, sur les chantiers de laquelle, plus dun Africain mourait par jour.
Durant toutes ces années, des échanges de correspondance auront lieu entre les agents territoriaux, les gouverneurs, les grandes entreprises et le Ministère des Colonies quant aux méthodes de recrutement et le manque de main doeuvre. Des ordres, des contre-ordres, des ordonnances et des décrets fuseront pour tenter de masquer la réalité quétait le travail forcé.
Lisez les commentaires dAdolphe Desloovere, directeur de la bourse, écrits en avril 1925 : "Il résulte dune conversation que nous avons eue avec M.le Procureur Général [Sohier], , que lintervention des chefs indigènes, telle quelle est pratiquée, ne constitue plus une pression morale exercée sur lindigène, mais une véritable contrainte directe. Le procureur général déclare ne pouvoir admettre pareille intervention si notre législation ne la prévoit pas en termes bien précis. Notre législation devrait donc être modifiée complètement dans ce sens, en vue de la mettre en harmonie avec les faits et nécessités actuelles. Il ne faut pas se dissimuler que les engagements réellement volontaires deviennent de plus en plus rares, et si une contrainte directe ne peut être exercée sur lindigène récalcitrant, le rendement des recrutements diminuera de plus en plus ."
Dautre part, ces séances de recrutement, même pratiquées par lintermédiaire dun chef autochtone, se passaient souvent de manière très violente, voire meurtrière. Le procureur général Sohier soulevait dans une lettre en 1925, le rôle ambivalent des fonctionnaires territoriaux chargés de fonctions judiciaires dune part et du recrutement dautre part, tout comme le cumul, dans la personne de Desloovere, des fonctions de la direction du service de lindustrie avec celle de la bourse alors que la première était censée contrôler la seconde au niveau du respect de la législation du travail.
La même année, lors dune réunion de la commission provinciale sur la main doeuvre au Katanga, lutilisation de la contrainte indirecte fut recommandée par lassemblée. Celle-ci consistait à appliquer aux chefferies récalcitrantes aux recrutements, une imposition de travaux dutilité publique, une majoration des contingents à lever pour la force publique et une majoration de limpôt.
En ce qui concerne le charbonnage de Luena, voici quelques lignes écrites par le médecin de la colonie à Bukama pour le rapport médical du Katanga en 1925 : "Cinq mois après le passage du médecin en chef, jai signalé de nombreuses désertions de malades et de cachectiques qui venaient se réfugier soit au camp de la bourse, soit à lhôpital. Jai demandé qu'une enquête soit faite par un commissaire de police. Il me fut répondu dElisabethville que les affections dont les malades étaient atteints, avaient pu être contractées après la désertion de la mine. Comme moins de 30 km séparent Luena de Bukama, jai refusé un pareil échappatoire et en de telles conditions je nai plus cru devoir insister à nouveau. La mortalité est telle à Luena que la surveillance du médecin de lhygiène devrait être constante." Ce même médecin dénoncera également dans le même rapport la persistance du portage dans le district de la Lulua et au Kasai alors que les véhicules motorisés apparurent sur les routes. Mais le coût financier de cette solution en avait décidé autrement.
Lannée 1925 verra le ministre Carton insister sur la nécessité de linterventionnisme de la part du personnel territorial à cause de " la situation critique qui menace les industries du Katanga dont la prospérité est appelée à influencer notablement celle de la colonie et pas plus qu auparavant, lon ne doit oublier que la propension naturelle des indigènes à loisiveté exige, pour être surmontée, lintervention de lautorité." Toujours la même année, lUM débutait des missions de recrutement au Rwanda-Burundi ainsi que dans le Maniema, région située au sud de la Province Orientale. Les deux années suivantes plus de dix mille hommes arrivaient de Rhodésie.
En 1926 et lannée suivante, Bureau, le gouverneur du Katanga, se servait du recrutement forcé, avec la bénédiction du ministre Jaspar, au nom de soi-disant travaux dutilité publique. Les bénéficiaires de ce recrutement étaient, hormis létat, les sociétés privées de chemins de fer. Un décret sur le recrutement forcé pour travaux dutilité publique, avait été établi par les protagonistes de lEIC en 1906 et repris par le Congo belge en 1909 pour la réalisation de grands travaux dinfrastructure.
Cette levée forcée de travailleurs, avait engendré à lépoque un tollé chez ED Morel et ses partisans, avec pour résultat que les autorités coloniales belges nallaient plus utiliser ce système ouvertement. Bureau lappliqua néanmoins au Katanga, et cette pratique persistera encore quelques années. Pour l "intérêt général de la colonie" et au risque dêtre mis au ban de la Société des Nations, le recrutement forcé allait continuer à sévir, et ce, ouvertement, pendant de nombreuses années encore dans la colonie belge.
Voici ce que pense Jaspar en 1927 de la situation délicate de cette méthode de recrutement utilisant la persuasion :"Sil nous faut faire du recrutement forcé, je veux en prendre la responsabilité, mais ce que je ne veux pas, cest mettre ma conscience à laise sous le couvert dinstructions ambiguës Il ny a pas que le personnel territorial qui me préoccupe, il y a le personnel judiciaire qui se trouve dans une situation délicate " et Cattier de poursuivre:" Nous devons mettre fin au régime déquivoque instauré au Congo en matière de main doeuvre. Nos fonctionnaires se trouvent devant un dilemme: ou bien ils exécutent à la lettre les instructions quils reçoivent et appréhendent dêtre mal notés, ou bien tournant les instructions, ils font du recrutement forcé "
La mortalité était toujours élevée parmi les forçats lors de leur déportation. De janvier à octobre 1926, les documents de la bourse révélèrent que parmi les 747 déportés en provenance de la Lulua, district situé à environ 500 kms de la destination finale, 123 décédèrent(plus de 15%), 88 furent réformés et 52 désertèrent. Le salaire de base passait à 1,80 F/jour pour les recrutés de la bourse. Parallèlement aux recrutements de la bourse et de létat, des recruteurs privés sévissaient également pour le compte des compagnies.
Le 14 août 1926, linspecteur du travail à Elisabethville, Dufour, citait, pour la région industrielle du Haut-Katanga, lexistence de 47 357 travailleurs dont approximativement les 2/3 concernaient les grandes entreprises.
Le gouverneur du Katanga, Gaston Heenen observait en 1923 quun grand nombre de déracinés restaient dans les parages dElisabethville. Ces hommes provenaient de districts éloignés et étaient arrivés "en fin de terme", mais ne prétendaient pas retourner sur les lieux de leur recrutement. Ce comportement expliquait en partie leur rengagement sur les chantiers. Par un décret de 1932, Heenen créait le centre extra-coutumier dElisabethville, un parmi dautres, véritable entité administrative composée de ces déracinés qui allaient former la base dune classe ouvrière naissante.
En avril 1927, la bourse du travail devenait l "Office Central du Travail du Katanga" (OCTK) dont le comité de direction à Elisabethville était composé par des personnalités de lUM, de la CFK, des services provinciaux, et par dautres encore. Henri Jaspar, premier ministre belge à cette époque, assurait également la fonction de ministre des colonies.
Un mois plus tôt, une ordonnance promulguée par Bureau au Katanga fixa des règles strictes concernant lacheminement des travailleurs sur les lieux de leur affectation : des règles relatives au transport, au logement et au rationnement des déportés. Cela assurait le monopole de fait à la bourse qui allait exécuter des travaux financés en partie par les grosses sociétés, pour répondre aux exigences de cette ordonnance. Cela renforçait également linterventionnisme de la colonie puisque les agents territoriaux participaient, selon une circulaire doctobre 1928, à la logistique de ce programme.
Comme Heenen le souligne en 1927:"On peut espérer quun monopole de fait reviendra à lOCTK, comme résultat dune application rigoureuse de la réglementation sur lacheminement et le rapatriement des travailleurs." et en 1929: "lOCTK nest pas une société privée ordinaire : sans but lucratif, elle est fondée en vue de lintérêt général, contrôlée et subsidiée par le gouvernement, soumise aux directives de celui-ci." Parallèlement aux recrutements de lOCTK, lUM organisait des levées pour son propre compte. Cest ainsi quelle recrutait dans le Maniema et comme déjà signalé au Rwanda et au Burundi doù, de 1925 à 1930, plus de 7 000 hommes dont des femmes et des enfants furent emmenés au Katanga. Plus de mille dentre eux allaient y mourir durant cette période.
Les dirigeants de lOCTK à Bruxelles allaient motiver le refus dune demande de recrutement au Rwanda-Burundi sollicitée par Heenen par ces propos : "Il est notoire que les populations du Ruanda-Urundi sont dune extrême fragilité dès quon les sort de leurs milieux. Lexpérience quen a acquis lUnion Minière est concluante à cet égard. Et si une confirmation était nécessaire, nous la trouverions dans la mortalité excessive qui a frappé le détachement dhommes ayant cette origine, qui fut mis il y a quelques 2 ans à la disposition du CFL [la Compagnie de Chemins de fer des Grands Lacs] à Albertville.
18 806 travailleurs rhodésiens allaient également être fournis par une firme privée à lUM de 1927 à 1930.
La crise économique mondiale des "années trente" allait réduire les besoins de main doeuvre et peut être sauver certaines régions du Katanga du dépeuplement. Cest ainsi que leffectif des travailleurs de lUM passait de 18 471 Africains en 1930 à 5 575 en 1932 dont la plupart étaient originaires du Lomami, district qui allait faire partie du Kasaï à partir de 1932.
De 1912 à 1930, la bourse recrutait, à elle seule, 123.000 hommes dont la moitié pour lUnion Minière. Le cabinet Jaspar parlait en 1927 dun taux de mortalité de 4,3%/an parmi ces forçats du cuivre. Pour ne parler que de lUnion Minière, propriété de la Société Générale de Belgique, celle-ci a des milliers de victimes à son actif.
En 1941, une grève parmi des travailleurs de lUnion Minière éclatait et était durement réprimée par la force publique. Le 9 décembre 1941, plus de cent Congolais étaient massacrés sur les ordres du gouverneur du Katanga, Amour Maron.
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